regard critique et nouvelle photographie

environnement et société

roxham road et particules par millions de jf lemire

Photographe
  • jean-françois lemire

Observateur patient du réel, Jean-François Lemire questionne le théâtre de la condition humaine contemporaine, qu’il illustre par le biais d’une photographie à mi-chemin entre la photo d’art et le documentaire.

J.-F. Lemire cherche des zones/espaces de bouleversements, où se vivent des enjeux humains et environnementaux pour révéler une histoire qui s’écrit. Ainsi il traite chaque photo comme une pièce à conviction qui révèle une parcelle de la réalité contemporaine.

parcels of power / particules par millions

c’est le fondement de notre organisation sociale, politique et économique que l’importance de l’énergie dans notre société. Si cet aspect vient à faire défaut c’est tout l’échiquier qui tombe.

les promesses électorales de trump de relancer l’industrie du charbon, la fracturation hydraulique pour capter le gaz naturel dans la roche, les forages en eaux profondes, etc. poussent encore plus loin notre dépendance aux différentes énergies. Je vais poursuivre cette série photographique cet été. Je sillonnerai les routes et les chemins de la californie pour documenter leurs différentes installations.

parcels of power / particules par millions forme un corpus photographique frayant de près avec le cartographique. issues de traversées du territoire américain avec pour boussole le US energy mapping system, les images qui le composent documentent la structure énergétique d’une puissance mondiale à l’orée de son indépendance en la matière.

en effet, notre géant voisin – lui dont la dépendance énergétique envers les producteurs étrangers ne faisait que croître depuis des décennies – ne consommerait plus bientôt le moindre kilowatt produit ailleurs qu’en ses terres. l’élan vient notamment d’une récente « renaissance du forage » opérant sous l’égide de l’exploitation des hydrocarbures de schiste par fracture hydraulique. Mais si la production « domestique » de l’électricité repose massivement sur la combustion fossile, elle compte aussi sur bon nombre de centrales nucléaires et hydrauliques, de parcs éoliens et solaires, le tout formant un réseau étonnamment diversifié.

c’est la matrice de cette production que donnent à voir ces « parcels of power » présentées par lemire, l’exposant dans ce qu’elle a de plus concret: sa présence physique, dont les occurrences ne sont pas que photographiées; elles sont aussi localisées et chiffrées (de par leurs titres). en ceci, le corpus visuel acquiert une dimension quasi cartographique au sein duquel les bâtis photographiés ne dévoilent que quelques points d’un immense et complexe réseau irriguant le pays de toutes parts. quelques images laissent d’ailleurs deviner la myriade d’autoroutes, de chemins de fer et autres pipelines venant relier la constellation de centres d’extraction, de production et de distribution. icônes d’une ère industrielle qui s’attarde, ces mastodontes de ciment semblent régner sur les paysages sur lesquels ils ont été plantés.

la seconde partie du titre, « particules par millions », n’a rien d’une traduction: elle nous fait passer du lopin de terre (possédé par le puissant) à la composition de l’air et de l’atmosphère (transformée par le puissant). les deux dimensions sont d’ailleurs partout évoquées: sols exploités (flores, faunes et populations expropriées), ciel enfumé (climat gravement déréglé, mettant en jeu la survie même de l’humanité). du visible à l’invisible, les images de notre monde que nous montre lemire par la photographie tissent un fil entre notre échelle, terrestre et humaine (parcels of power), et celle de l’infiniment petit (particules par millions). elles disent, autrement, une réalité qu’on connaît: celui qui arrive à maîtriser la matière (d’autant plus jusqu’à l’atome) s’octroie d’immenses pouvoirs.

silencieuses, les photographies en noir et blanc témoignent d’un bâti humain toujours en activité, désertées pourtant de toute présence vivante... contraste contribuant à une tension muette. dans ce contraste et de par leur insituabilité dans le temps, les images photographiques portent à réfléchir sur le long cours, au-delà de nos existences individuelles et des horizons raccourcis de nos gouvernances.

roxham Road

de part sa situation géographique le canada n’a jamais connu de grande vague de migration spontanée.

les migrants irréguliers ont toujours existé, mais jamais en si grande importance. c’est pour cette raison que le sujet m’intéressait.

crédits

  • Photographe: jean-françois lemire
  • Rédaction: marjolaine arpin